Les membres de l’opposition ayant participé au Dialogue national le 28 mai dernier, ont écrit une lettre ouverte au président de la République Bassirou Diomaye Faye. Ils dénoncent la remise d’un « rapport forcément inachevé et absolument non consensuel » par un groupe non représentatif des principales composantes du Dialogue national.
Dans cette lettre lue devant la presse ce mardi 5 août 2025, ces membres de l’opposition appellent le chef de l’Etat à revoir ce rapport.
Monsieur le Président de la République,
C’est toujours pénétré des vertus du Dialogue, du sens du Consensus et du Traitement pacifique des différends politiques, qui ont si heureusement marqué la belle histoire de notre pays et de sa démocratie, que nous, membres de l’opposition ayant participé au Dialogue, vous adressons cette Lettre Ouverte.
Au sortir du Dialogue national, nous vous avions adressé une lettre datée du 28 juin 2025 dont l’accusé de réception ne nous est toujours pas parvenu. C’est pour cela que nous avons estimé que notre deuxième Lettre à vous destinée devrait être publiée afin de prendre à témoin l’opinion nationale, africaine et internationale.
Monsieur le Président, notre attachement à la concertation est tel, qu’en dépit de l’atmosphère très lourde dans notre pays, faite de brimades, d’arrestations et d’emprisonnements tous azimuts avec atteinte notoire aux libertés et à la présomption d’innocence, nous avions accepté d’aller au Dialogue afin, entre autres, de pouvoir soulever nos préoccupations sur ces graves sujets.
Au demeurant, nous ne saurions passer sous silence l’appel qui vous a été lancé par nos soins, à la fin de la cérémonie de clôture du Dialogue. En effet, nous fondant sur votre engagement public à « rassembler», « rassurer» et « réconcilier » les Sénégalais, nous vous avions alors invité à user de votre stature de Chef de l’Etat, garant de l’unité nationale, pour l’apaisement de l’espace politique en œuvrant pour la libération des détenus politiques. Un appel solennel malheureusement à ce jour ignoré.
De surcroit, et comme vous le savez sûrement, tous nos amendements à l’ordre du jour des thèmes du Dialogue, y compris ceux portant sur les pressantes questions économiques et sociales qui méritaient à notre sens une sérieuse attention, ont été rejetés. Pourtant, les développements de ces derniers jours relatifs à la gravité de la « crise économique et sociale » et l’urgence de mesures correctives annoncées par votre gouvernement, nous donnent suffisamment raison d’avoir anticipé, en avril et mai, le besoin de discuter de ces questions qui impactent négativement le pénible quotidien de nos compatriotes.
Même devant ce refus manifeste de l’inclusion des préoccupations de l’opposition, et mettant toujours le Sénégal au-dessus de tout, nous avions néanmoins gardé espoir, comme vous en aviez pris l’engagement, que les points de consensus seraient mis en œuvre et que le reste serait réservé à l’avenir. Notre conviction demeure que non seulement notre pays le mérite mais y trouve un grand intérêt.
C’est donc avec une très grande surprise que nous avons d’abord noté la remise d’un Rapport forcément inachevé et absolument non consensuel au Chef de l’État par un groupe non représentatif des principales composantes du Dialogue national. En effet, pas un seul représentant de la centaine de partis de notre Groupe n’a été officiellement averti de ce dépôt de rapport !
Par ailleurs, il nous semble essentiel d’indiquer que l’importante commission « Démocratie, libertés et Droits humains» – dont le faible niveau de consensus obtenu traduit un échec incontestable rapporté aux objectifs de consensus les plus larges possibles que vous aviez assignés aux acteurs et aux travaux du Dialogue national – devrait détourner, à elle seule, de la précipitation avec laquelle ce Rapport
En effet, comment peut-on aller devant le Président de la République et lui soumettre si peu de consensus trouvés sur les questions qui affectent le plus la vie et les progrès démocratiques de la nation ?!
Les auteurs d’une telle démarche ont brulé l’étape de concertations complémentaires visant à renforcer les consensus pour les habiller d’une certaine respectabilité. Outre les 26% de consensus, ceux qui se sont présentés à vous, de façon sectaire et non inclusive, savent qu’il était convenu, entre les acteurs, de considérer certaines conclusions comme étant provisoires et devant faire l’objet d’échanges pour des formulations consensuelles définitives avant de vous les soumettre.
En procédant comme ils l’ont fait, ils contraignent toute l’opposition et beaucoup d’organisations de la Société civile (les organisations de femmes en particulier) à rejeter catégoriquement ce rapport ne pouvant les engager.
Plus grave, ils vous ont amené à prendre un arrêté mettant en place un mécanisme avec des personnalités et des experts respectés, pour « rédiger les avant-projets de textes relatifs aux recommandations », pour ensuite « tenir des sessions élargies de validation des avant-projets de texte » et, enfin, « préparer les exposés de motifs et rapports de présentation» qui vous permettront de respecter votre engagement de valider les consensus obtenus et de les insérer dans les corpus législatifs et réglementaires régissant le système démocratique de notre pays !
Monsieur le Président de la République, conviendrez aisément avec nous, que tel n’était pas l’objectif principal du Dialogue. La consigne c’était plutôt : « Prenez le temps de discuter, de dialoguer, de vous entendre sur le maximum de sujets importants pour la marche de la nation, et je vous vous soutiendrai en les validant et en organisant leur mise en œuvre. »
En procédant à ce véritable passage en force, les auteurs de ce Rapport vous ont installé dans un processus qui n’est pas à notre sens celui que vous aviez souhaité et exprimé devant toute la nation. En lieu et place de ce qui est entrepris, le Dialogue national sur le système politique a besoin, pour aboutir de façon heureuse, d’un véritable Comité de suivi dans lequel siègeraient les différentes parties prenantes.
Monsieur le Président de la République, nous vous le disons sans fard : ce qui est ainsi fait est aux antipodes de l’esprit du Dialogue que vous avez initié et auquel nous avons, malgré tout, répondu. Ensemble, nous constatons le paradoxe d’une crise créée par les auteurs de ce rapport partiel, partial et profondément non représentatif, ajoutant de la difficulté aux difficultés déjà existantes et que nous voulions de concert lever.
Si ce biais n’était pas rectifié, et quelle que soit notre profonde conviction que nous avions absolument raison de participer à ce Dialogue national, nous serions au regret de ne pas pouvoir endosser ce Rapport et les recommandations qui en sont issues. Il en serait ainsi parce que nous sommes persuadés que ces recommandations, au lieu d’être consolidantes pour notre démocratie, pour les libertés et pour les droits humains, aboutiront à des textes de discorde, de division et de fracture démocratique davantage poussée.
Nous avons cru percevoir un certain sens de l’urgence et de l’intérêt national dans vos appels constants à la réconciliation et à la sérénité dans la conduite des réformes aujourd’hui devenues matures. Voilà pourquoi nous ne désespérons pas, qu’avec nous, vous œuvrerez pour un Sénégal meilleur pour tous ses fils et toujours exemplaire en Afrique.
DAKAR LE 05 AOÛT
PRESSAFRIK