C’est un séisme discret mais violent qui ébranle l’industrie du phosphate au Sénégal. Le quotidien Libération, qui a eu accès au volumineux rapport du Bureau des Investigations financières et de lutte contre les trafics illicites (Bitis) de la Douane, dévoile une affaire tentaculaire où opacités financières, écarts comptables vertigineux, et violations présumées du Code minier et du Code des Douanes s’entremêlent autour de la Société minière de la vallée du Fleuve (Somiva).
Selon liberation , l’enquête ouverte le 22 décembre 2022 dessine une mécanique complexe où s’enchaînent conflits internes, chiffres opaques, phosphates non déclarés et flux financiers à l’étranger non rapatriés.
Une généalogie minière marquée par des rivalités internes
Le rapport, daté du 14 juillet 2023, retrace minutieusement le long chemin allant de la création de la SERPM en 2008 à la naissance de la Somiva en 2011. Le Bitis rappelle que la SERPM, titulaire de la concession minière, aurait dû détenir 90 % de la future société d’exploitation, les 10 % revenant de droit à l’État du Sénégal.
Mais Libération révèle que très tôt, une fracture se creuse. L’investisseur Antoine Dumet, associé à la SERPM via Mininvest SA, est accusé de ne pas avoir payé la valeur légale de ses titres, estimée à 151,5 milliards FCFA, et de ne pas avoir remboursé 53,5 milliards FCFA de dépenses de recherche engagées par la SERPM.
Le rapport est catégorique :
« La SERPM doit être rétablie dans ses droits sociaux, juridiques et financiers », note le Bitis dans des termes sans ambiguïté, cités par Libération.
Six constats accablants : une plongée dans les chiffres opaques de la Somiva
Le Bitis liste six constations majeures, dont trois liées à la réglementation douanière et trois à celle des changes. Chacune vaut plusieurs milliards.
584 275 tonnes de phosphates non déclarées
Valeur estimée : 23,43 milliards FCFA
L’enquête révèle un énorme différentiel entre les volumes transportés et ceux effectivement déclarés en douane. Malgré les explications fournies par la Somiva, le Bitis estime que les écarts ne s’expliquent pas.
1,92 million de tonnes non comptabilisées
Valeur estimée : 56,1 milliards FCFA
Ces volumes proviennent notamment des rapports de réconciliation de l’ITIE entre 2016 et 2021. Pour la Douane, c’est un trou comptable massif.
Un écart de 62,87 milliards FCFA entre les prix déclarés et les prix mondiaux
Alors que la Somiva déclarait vendre la tonne entre 37 541 et 40 172 FCFA, le cours mondial oscillait entre 42 775 et 211 200 FCFA sur la même période.
Le Bitis, cité par Libération, tranche :
« Les prix déclarés sont sans rapport avec le prix réel du marché international. »
39,34 milliards FCFA de recettes d’exportations non rapatriées
Sur 137 milliards de facturations aux clients étrangers, seuls 97,8 milliards FCFA auraient été rapatriés au Sénégal. L’écart, colossal, pose la question de flux financiers circulant hors du circuit bancaire national.
11,25 milliards FCFA payés à des fournisseurs sans passer par les banques locales
Une violation directe du règlement UEMOA exigeant que tout règlement international passe par une banque intermédiaire agréée.
12,69 milliards FCFA d’emprunts étrangers fictifs
Deux emprunts supposément contractés auprès de sociétés étrangères n’ont jamais transité par les banques locales — pourtant ils ont été utilisés pour augmenter le capital de la Somiva via un mécanisme de « réconciliation de créances ».
Les enquêteurs dénoncent une opération « indûment injectée », toujours selon les éléments consultés par Libération.
Une affaire explosive, des enjeux majeurs
Au total, ce sont plus de 205 milliards FCFA de valeurs contestées, non déclarées ou irrégulièrement gérées qui ressortent de ces six constats.
Le Bitis ne laisse aucun doute sur la gravité des faits :
la Somiva a bénéficié d’un gisement évalué à 2 025 milliards FCFA sur la durée de la concession, mais les règles de transparence, de déclaration et de rapatriement semblent avoir été systématiquement contournées.
DAKARACTU
