Politique

Ordre politique et désordre militaire : le Mali entre le marteau et l’enclume

L’expression « clochardisation des forces de défense et de sécurité » trouve son plein épanouissement au Mali. Le civil exerce de droit le pouvoir politique dans une démocratie respectable, sauf à considérer quelques rares exceptions comme le cas de l’état de siège qui autorise le transfert du pouvoir politique au militaire. Ce même régime politique érige l’élection en rite démocratique, une échéance de légitimation du pouvoir, de circulation des élites gouvernantes et de participation du citoyen aux grands choix de la politique nationale. Une foule se revendiquant du peuple malien a eu le génie de renverser ces principes au nom d’une prétendue illégitimité de l’équipe dirigeante, sous l’autorité de forces militaires réputées à priori républicaines, censées œuvrer pour la promotion du respect de l’ordre constitutionnel. On peut affirmer sans risque de se tromper qu’il s’agit d’un putsch nécessaire en apparence, mais désastreux en profondeur. Les faits suffisent à titre de preuve testimoniale.

La nécessité est souvent évoquée pour expliquer des putschs de ce genre. Elle n’en constitue pas pour autant une justification. Les exemples font légion dans la plupart des Etats africains. Déjà en 1965, Joseph Désiré Mobutu présentait sa prise de pouvoir par les armes comme « un mal nécessaire ». Le Général Sani Abacha lui emboitera le pas dès 1991 au Nigéria en estimant qu’il devrait diriger le pays de manière « ferme » et « humaine » alors que le Nigéria était sur le point de s’ouvrir vers une démocratie pluraliste. Malheureusement, en sondant la profondeur de ces coups portés contre la stabilité institutionnelle, il va de soi que « les Etats africains sont malades de leurs armées. Et les armées victimes de leurs Etas. La perte du sens patriotique et la disparition de l’esprit de corps ont grandement porté préjudice à la dignité et à la crédibilité du soldat africain » comme le soutient Anatole Ayissi (Journal le Monde diplomatique).

La multiplication des grèves et la précarité de la vie contestées par les Maliens ces neuf dernier mois, témoignent de leur préférence, même inavouée, à l’ordre politique sur le désordre militaire. La montagne a finalement accouché d’une souris ; une souris indigne d’être la progéniture d’une révolution citoyenne au simple motif que la citoyenneté a été bafouée sur les cendres ce que fut le régime IBK. Bien avant ce régime, il ne faut pas perdre de vue que le Mali a longtemps été regardé comme un « Etat défaillant » c’est-à-dire un appareil étatique inapte à remplir ses fonctions essentielles, dont la garantie de la sécurité physique de sa population. C’est dans ce sillage que s’inscrit le « triple sentiment de frustration, de marginalisation et d’abandon » qui a inspiré la révolution touareg au Nord du pays. Mouhamadou El Hady Bâ et Amath Mbaye soutiennent dans l’étude consacrée à la crise malienne et ses leçons pour le Sénégal : « il faudra attendre 1985 pour voir l’inauguration d’une route goudronnée entre Mopti et Gao ». La télévision n’est elle aussi arrivée à Tombouctou que le 22 septembre 1996. Tout cela pour dire que l’ordre politique malien, par sa défaillance, n’a pas su gouverner les diversités de sa population et de son territoire à telle enseigne que l’on puisse s’étonner de mouvements insurrectionnels portés par des groupes armés comme le Front islamique arabe de l’Azawad, le mouvement populaire de l’Azawad, le mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et les mouvements et fronts unifiés de l’Azawad (MFUA).

N’eût été « l’intervention salutaire de l’armée française le 11 janvier 2013 pour freiner l’avancée des troupes touarègues vers la capitale » (Colonel Alioune Diop 2018) sous les dénominations respectives de Serval et Barkhane, la chute de l’ordre politique malien aurait été plus violent d’autant plus que le désordre militaire avait cessé de garantir le rétablissement de l’autorité de l’Etat dans le pays.

La crise malienne risque de basculer l’Afrique de l’Ouest dans un inconfort sécuritaire puisque les conflits nés dans les Etats défaillants sont de nature à susciter des troubles internes doublés de prolongements extérieurs. Si simultanément, le Tchad et le Mali tombent, l’Afrique de l’Ouest peut devenir un terreau de développement pour l’activité terroriste. Au nom de sa mission de la sécurité collective, la CEDEAO se doit d’agir aussi urgente que soit l’urgence de secourir le Mali qui risque d’être détruits par les pulsions et les désirs d’un jeune militaire dénué de culture diplomatique et de sens élevé d’une posture d’un homme d’Etat qui se respecte.

Moussa FALL, Master 2 Droit Public Général, UGB-UFR/SJP

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