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Mort de Frederik de Klerk, l’homme de la transition vers une Afrique du Sud démocratique

Le dernier président blanc d’Afrique du Sud, Frederik de Klerk, est mort ce 11 novembre à son domicile de Fresnaye, en banlieue du Cap, d’un cancer des poumons. Il était âgé de 85 ans. De Klerk restera l’homme politique sud-africain qui, dès 1990, entreprendra de démanteler le régime de l’apartheid et encore davantage celui qui fera libérer, après vingt-sept ans de détention, Nelson Mandela.

Afrikaner jusqu’à la moelle

Frederik De Klerk est encore étudiant quand il devient membre du Parti national, dans les années 1950, celui-là même qui a légalisé l’apartheid en 1948. En cela, il ne fait que mettre ses pas dans ceux de sa famille d’origine huguenote, installée en Afrique du Sud dès 1686 et qui s’est illustrée à maintes reprises dans l’histoire afrikaner depuis le grand Trek jusqu’à la deuxième guerre des Boers.

Après des études de droit, il s’installe comme avocat à Vereeniging, dans le sud du Transvaal. Mais le goût de la politique ne le quitte pas et en 1972, à 36 ans, il saute le pas et se présente aux législatives. La première tentative est la bonne ; il est élu député. Premier mandat pour De Klerk qui deviendra ministre six ans après et le restera sans interruption jusqu’en 1989.

Authentique apparatchik du Parti national, il lui apparaît désormais naturel d’en prendre les rênes. Après s’être opposé à Chris Heunis, Barend du Plessis et Pik Botha, il l’emporte en février 1989. Élu président d’Afrique du Sud quelques mois plus tard, il s’attache à traduire dans les faits le programme réformiste sur lequel le Parti national a remporté les élections anticipées de septembre. À ce moment-là, Nelson Mandala est incarcéré depuis vingt-six ans…

Coup de tonnerre

Considéré à juste titre comme un conservateur, Frederik De Klerk a parfaitement conscience que son pays ne peut plus poursuivre sa politique de ségrégation comme s’il était seul dans son monde. En cette toute fin des années 1980, la pression internationale est telle sur le régime qu’il ne peut plus continuer comme si de rien n’était. Les townships sont en révolte quasi permanente, et les sanctions et les boycotts de nombreux pays l’ont convaincu de l’urgence du changement.

De Klerk a choisi de changer la donne. Au Cap le 2 février 1990, alors que le monde entier s’attend à la libération du héros de la lutte anti apartheid, le président De Klerk surprend en annonçant la levée de l’interdiction qui pesait sur l’African National Congress (ANC), l’ennemi que son parti a toujours combattu, comme sur 30 autres partis politiques dont le Parti communiste. « L’heure des négociations est arrivée », scande-t-il avec force.

Sur sa lancée, il ajoute, entre autres, l’annulation de l’état d’urgence, la suspension de la peine capitale et… la libération immédiate de tous les prisonniers politiques. De Klerk ne s’arrête plus : il promet une modification de « la Constitution qui garantirait à tous les citoyens des droits, des chances et un traitement égaux ». Une intervention de trente minutes, prononcée devant le Parlement, moitié en anglais et moitié en afrikaans qui allait changer le destin du pays.

Mandela attendra

Seule une poignée de personnes étaient au courant des intentions de De Klerk ce jour-là, parmi lesquelles Nelson Mandela, qui avait accepté de bonne grâce que l’on reporte de quelques jours sa libération. Les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois, et en tête à tête, dans le plus grand secret, en décembre au palais présidentiel du Cap. Pour l’occasion, Mandela avait été extrait de sa prison de Robben Island et conduit dans le bureau présidentiel en passant par les garages en sous-sol. Et De Klerk comme Mandela avaient considéré, chacun de leur côté, que l’autre « était un homme avec lequel il pourrait travailler ».

Nelson Mandela est enfin libéré le 11 février 1990 et, dès le mois de mars, les négociations officielles débutent entre l’ANC et le gouvernement, des discussions qui ont été entamées discrètement depuis déjà quatre ans. À partir de là, De Klerk et Mandela, bien qu’ils soient restés des adversaires résolus, exécuteront une partition qui conduira sans trop de heurts l’Afrique du Sud vers une démocratie multiraciale. Cela leur vaudra d’ailleurs d’obtenir conjointement le prix Nobel de la paix en 1993.

Alors que l’apartheid est aboli officiellement le 30 juin 1991, De Klerk poursuit les négociations jusqu’à l’établissement d’une Constitution provisoire. Les premières élections démocratiques se tiennent en avril 1994 ; Nelson Mandela est élu président par le nouveau Parlement alors que Frederik De Klerk devient vice-président, un second rôle qu’il partage avec Thabo Mbeki. Il démissionne de cette fonction en 1996 et, l’année suivante, met un point final à sa carrière politique en quittant la direction du Parti national qui n’est plus que l’ombre de lui-même.

Un regard ambigu sur l’apartheid

Nelson Mandela a rendu hommage à De Klerk en 2006 « pour avoir évité un bain de sang à l’Afrique du Sud ». À son tour en 2008, De Klerk y allait de son compliment pour souligner chez Mandela « sa discipline, sa persévérance […] sa sagesse et sa connaissance de l’être humain ».

Mais cela ne l’a pas empêché en 2012 de se montrer critique vis-à-vis du héros de la lutte contre l’apartheid en égratignant son image iconique. « Il n’était pas du tout la figure de saint bienveillante si largement représentée aujourd’hui » ; il était même « brutal » et « injuste », avait alors osé Frederik De Klerk, des propos qui avaient alors créé une bruyante polémique.

Sa surprenante discrétion n’avait pas manqué d’être soulignée lors de l’hospitalisation ultime de Mandela en 2013 alors que les témoignages de sympathie affluaient du monde entier. Finalement, depuis le Gabon, De Klerk avait déclaré que « c’était une personne très, très remarquable ». L’assurant de ses prières, il avait cité « l’héritage fondamentalement important » que laissera Mandela à sa mort. Des propos qui n’avaient pas été diffusés en Afrique du Sud.

Frederick De Klerk laisse ainsi une image controversée d’un président au regard finalement ambigu sur l’apartheid, explique notre correspondant en Afrique du Sud, Romain Chanson. Qualifier ce système de crime contre l’humanité n’était, par exemple, pas de son goût. Son opposition à utiliser ce terme avait ainsi suscité la polémique en 2020 après une interview télévisée, même si l’ancien président reconnaissait que ce régime avait « dévasté la vie de millions de Sud-Africains ».

Une forme de double discours qu’il avait déjà tenu devant la Commission vérité et réconciliation. À l’époque, face à l’archevêque Desmond Tutu, Frédérick De Klerk ne condamne pas le « concept » de l’apartheid, mais les violences commises en son nom.

RFI

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