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Cheikh Tidiane Sy Al Maktoûm : Un homme, une vie singulière

Parler de Serigne Cheikh Ahmad Tidiane Sy, c’est évoquer l’histoire d’un homme hors pair au parcours atypique qui a marqué de son empreinte le Sénégal. Ce personnage, ô combien singulier, charismatique et multidimensionnel a contribué, à sa manière, à faire évoluer les mentalités dans le domaine de la religion.  Figure de proue de la Tarikha Tidiane, Mame Cheikh comme l’appelaient affectueusement ses disciples, s’est très tôt forgé une image de marabout prônant l’ouverture et militant à ce que la religion ne soit pas restreinte aux seules pratiques cultuelles et culturelles. Ainsi, dans l’optique de revisiter la vie et l’œuvre de ce personnage aux facettes multiples, il s’agira dans un premier temps de retracer son parcours en politique. Ensuite, il sera question de passer en revue ses enseignements philosophiques. En dernier lieu nous essayerons de montrer quelques aspects de Serigne cheikh le mystique.

Cheikh Tidiane Sy, le politique 

Natif  de  la région de Saint-Louis en 1925, ce digne fils de Serigne Babacar Sy s’est très tôt illustré par son amour de la science. Il y fait ses humanités et y resta jusqu’à parachever les cycles inferieur et moyen de l’apprentissage des rudiments de la loi islamique ou charia à l’âge de 14 ans. Deux ans plus tard, il écrit son premier livre au titre assez illustratif : « Les vices des marabouts ». Serigne Cheikh continue sa quête de la connaissance, ce qui l’amena à côtoyer certains Mouqadams  de  son père un peu partout à travers le pays. Par la suite, après quelques séjours en France, il revint au Sénégal pour se lancer dans la politique. Ce qui n’est pas du goût de certains sénégalais qui n’avaient  pour habitude de voir un marabout en politique. Il venait ainsi de rompre avec cette pensée  simpliste  qui voulait qu’un fils de marabout soit un apprenti marabout et pas autre chose. Serigne Cheikh mis sur pied un parti politique sous l’appellation « Parti de la Solidarité Sénégalaise » (PSS). Serigne Cheikh était contemporain du premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor qui descella très tôt ses qualités de médiateur. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il le nomma ambassadeur du Sénégal au Caire. Toutefois, les relations entre les deux hommes deviennent tendues ; très tendues même après les élections de 1959.

Sorti victorieux du résultat des urnes, Cheikh Tidiane Sy voit sa victoire lui être confisquée par les français qui étaient de mèche avec leur candidat à eux, Senghor. Pour nous convaincre de cette réalité, il est possible de faire référence au ministre conseiller Amath  Dansokho, par ailleurs président du PIT ( Parti de l’Indépendance et du Travail) qui affirme que les élections de 1959 avaient été gagnées haut la main par Al Maktoûm et que les français avaient truqué les résultats des urnes par peur de voir le pays tomber entre les mains d’un jeune chef religieux. Ce qui aurait été une menace pour leurs intérêts. S’en suit l’incarcération du petit fils de Seydil Hadji Malick Sy. Quelques années plus tard, Serigne Cheikh se retire de la vie politique et se consacre à l’enseignement dans le domaine de la philosophie spirituelle.

Mame Cheikh, le pédagogue

Enseigner est un art. C’est ce qu’a compris Serigne Cheikh avant bon nombre de guides religieux. Pour lui, il fallait rompre avec la façon de véhiculer les enseignements de la religion. Il s’agissait de rompre avec les prêches habituels pour éveiller et sensibiliser les disciples. Ainsi, Cheikh Tidiane Sy commença à sillonner l’ensemble des régions du pays. Ses conférences drainaient les foules tant son éloquence, son charisme et son aptitude à transmettre un savoir savant le distinguaient du commun des marabouts. Ce qui lui a valu d’essuyer des critiques de la part de ses détracteurs qui voyaient en lui un guide religieux trop occidental à leur goût. Mais l’histoire lui a donné raison sur eux, comme c’est toujours le cas d’ailleurs avec les Elus de Dieu. Aussi, pour élargir ses connaissances, Mame Cheik n’hésitait pas à lire des ouvrages écrits par des philosophes occidentaux. En effet, pour lui, le musulman se doit de tout savoir dans la mesure du possible. Il enseignait aussi  aux disciples de ne pas se verser dans la paresse ou le laxisme sous le prétexte de la religion. En fait, pour lui, le bon musulman se doit de s’engager dans la construction de son pays car  se limiter  seulement à la religion serait un aveu de fuite de  responsabilités.

En  bon  éducateur, le cinquième  Calife de Maodo a montré l’exemple à suivre en se lançant dans le domaine de l’agriculture ainsi que dans le monde des affaires. Il fut ainsi, un des actionnaires majoritaires de la Sococim qui est une entreprise cimetière sénégalaise au même titre que l’Etat du Sénégal. C’est d’ailleurs dans cette logique qu’il disait : « Il s’agit non seulement d’organiser la vie mais plus précisément d’éterniser la vie par une action rémunératrice et permanente. Il s’agit enfin d’aimer l’action de vie, de rendre culte à Dieu… ». En clair, pour Serigne cheikh, il incombe à tout bon musulman d’allier le spirituel au temporel.

Al Maktoûm, le mystique             

Son goût du mystique n’était plus à démontrer tellement tout était mystique chez Serigne cheikh. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu le surnom d’Al Maktoûm. Sa passion et son savoir des réalités intelligibles n’étaient un secret pour personne. Lors de ses conférences et des Gamou (nuit de la commémoration de la naissance du Prophète (saws), il tenait en haleine son auditoire des heures et des heures en raison de ses connaissances du monde inconnu (Haïb). Avec lui, les Gamou avaient une saveur particulière car l’accent n’était plus mis sur les récits livresques mais plutôt sur l’expérience accumulée au fil des ans et surtout sur des réalités jusque-là inconnues du grand public. On se rappelle de sa dernière sortie en 2011  lorsqu’il parlait de l’existence d’un Sénat dans les cieux. La description qu’il en a fait était magnifique et forçait le respect et l’admiration. Il avait même révélé qu’il était possible de s’y rendre pour quiconque en avait l’autorisation. Ainsi, depuis sa retraite en 2011, les férus des connaissances célestes étaient  sevrés car il n’y avait personne qui pouvait continuer à les abreuver de ces réalités, à une exception près : son ami intime Seydi Mouhamed El Cheikh.

Cette amitié entre Serigne Cheikh le Pôle de son époque (Khoutbou Zamane) et le Rais de Médina Cheikh était un secret de polichinelle pour les disciples de celui-ci. Ainsi, le 9 mars 2017 à 12h 12 mn, cinq  jours avant la disparition d’Al Maktoûm, un des disciples de la première  heure de Seydi Mouhamed El Cheikh en l’occurrence Cheikh Mawo Fall écrivait sur son compte Facebook ces mots : « Vous voulez voir des amis, en voilà deux. Il est rare que Seydi Mouhamed El Cheikh parle sans le citer ! Chaque nuit de jeudi, l’un regarde l’autre tenir le discours qui parle des phénomènes qui se dérouleront jusqu’au prochain jeudi. Ils se connaissent tellement que l’un ne peut se camoufler sans que l’autre ne l’aperçoive, Jabal Khaff en est la preuve ! ».

Cela fait un an, jour pour jour, que vous êtes parti, Mame Cheikh ; mais votre travail et votre œuvre sont incommensurables. Dans nos cœurs vous resterez graver à jamais, vous le marabout intellectuel, vous le sage, vous le pédagogue, vous le mystique ! Vous aurez laissé un héritage inépuisable pour la jeunesse qui devra se souvenir de ces mots que vous leur avez laissés : « A chaque jeunesse sa responsabilité ; soit elle l’assume soit elle la fui. L’avenir nous jugera. »

Desk Tarikha Tidiania

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