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RD Congo : voyage au Nord-Kivu, chez les laissés-pour-compte du régime de Kabila

 

Entre groupes armés, militaires et Casques bleus, la province de l’est de la RD Congo s’enlise dans un conflit qui dure depuis vingt ans. Et les promesses d’un État quasi absent n’ont plus d’écho.

 

Seuls les eucalyptus ont résisté par dizaines à l’épreuve du temps. Dans l’immense domaine du mwami de Rutshuru, plus aucune trace de tambourinaires, encore moins de la grande paillote sous laquelle le roi de ce territoire du Nord-Kivu, dans l’extrême est de la RD Congo, recevait jadis les sages du village. La cour royale s’est vidée de ses sujets et de tous ses symboles traditionnels. La faute aux conflits armés qui sévissent dans cette partie du pays depuis plus de deux décennies.

 

Certains ex-combattants sont là pour en témoigner, comme Patrick Amuri, 22 ans, dont dix passés dans les groupes armés. Chemise en lambeaux, pantalon sale, le jeune homme vient traîner chaque matin devant l’une des maisons du chef coutumier. Comme ses compagnons de fortune, il espère recevoir « un jour » un lopin de terre à cultiver. « L’État nous a abandonnés après nous avoir volé notre enfance », se désole l’ex-enfant soldat, qui avait été enrôlé tout petit dans les Forces armées de la RD Congo (FARDC), contre son gré. Il a ensuite rejoint les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), avant de rendre les armes. Aujourd’hui, il peine à s’adapter à la vie civile, et la tentation de retourner en brousse n’est jamais loin.

 

Près de 70 groupes armés sévissent dans cette province aussi grande que le Burundi et le Rwanda réunis.

 

Dans ces villages, à plus de 2 500 kilomètres de la capitale Kinshasa, les populations vivent dans la psychose de la guerre, et les soubresauts de la vie politique congolaise n’ont plus d’écho. Tout comme les promesses de paix du président Joseph Kabila, dont le mandat a pris fin le 19 décembre 2016, mais qui a obtenu un sursis jusqu’à la fin de l’année 2017, avec l’organisation hypothétique des prochaines élections. Et les tergiversations autour du rapatriement du corps de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, décédé le 1er février à Bruxelles, ne sont, pour les habitants de cette région oubliée, qu’un exemple parmi tant d’autres de l’incurie de l’État.

 

Rébellions, contre-rébellions, milices d’autodéfense… Près de 70 groupes armés sévissent dans cette province aussi grande que le Burundi et le Rwanda réunis. À cela s’ajoutent l’armée régulière et la Mission des Nations unies pour la stabilisation en RD Congo (Monusco), incapables pour l’heure de mettre un terme à une situation qui a fait un nombre incalculable de morts.

 

La loi de la kalachnikov

 

« Parce qu’il n’y a aucune perspective, de plus en plus de jeunes se retranchent dans la forêt pour organiser des kidnappings et se faire payer des rançons », constate Paul Ndeze. Entre 1998 et 2009, ce sexagénaire hutu a régné sur Bwisha, l’une des deux chefferies de Rutshuru. Depuis ses terres frontalières du Rwanda et de l’Ouganda, à une centaine de kilomètres au nord de Goma, la capitale du Nord-Kivu, il a assisté à la déliquescence progressive du pouvoir central dans la région.

 

Aujourd’hui, dans plusieurs contrées de l’Est, la loi de ceux qui portent la kalachnikov règne. Ainsi, El Hadj Mustafa Habakwiha, 55 ans, homme d’affaires réputé à Rutshuru, a dû abandonner le travail de ses terres après avoir été enlevé il y a deux ans par deux hommes armés et cagoulés. « J’étais sur mon tracteur lorsqu’ils ont débarqué. Ils m’ont emmené, yeux bandés, dans le parc national des Virunga. Je dormais sur les pierres, buvais de l’eau de la rivière. Je n’ai rien mangé pendant deux jours », raconte-t-il. Après soixante-douze heures de captivité, il a été relâché en échange du versement par ses proches d’une rançon de 5 000 dollars aux ravisseurs.

 

Si nous comptions sur Kinshasa, nous serions déjà morts !

 

À l’instar d’El Hadj Mustafa Habakwiha, de nombreux riverains ont déserté leurs champs. La situation préoccupe Gracien Muyayi, gérant de Malemo agrobusiness, une entreprise de transformation de maïs dans le village voisin de Kiwanja. « Les agriculteurs vont dans la forêt la peur au ventre. Nous craignons une très faible récolte cette année », s’inquiète-t-il. Après la défaite, fin 2013, d’une des nombreuses rébellions qui sévissent dans la région, le Mouvement du 23-Mars (M23), le président Joseph Kabila était pourtant venu promettre à ses habitants une « paix durable ». Près de quatre ans plus tard, celle-ci se fait toujours attendre.

 

« Si nous comptions sur Kinshasa, nous serions déjà morts ! » assure un autre entrepreneur local, propriétaire d’un bar. D’ailleurs, les deux centrales hydroélectriques, qui alimentent en électricité Rutshuru et plusieurs villages alentour, ont été construites grâce à des financements étrangers, venant de l’association italienne Mondo Giusto pour l’une et de la fondation du milliardaire américain Warren Buffet pour l’autre, la plus récente.

 

Pis, « depuis plusieurs années, les frais de fonctionnement ne nous parviennent plus », souffle un fonctionnaire du bureau de l’administrateur de Rutshuru. Chaises, carnets, blocs-notes, registres, jusqu’au calendrier accroché au mur, tout est estampillé « Monusco ». C’est la mission onusienne, présente dans le pays depuis 1999 sous différentes appellations, qui a réhabilité le bâtiment flambant neuf.

 

Embuscades et escortes

 

Sur le papier, les Casques bleus de la Monusco appuient les FARDC dans la traque des groupes armés. Une brigade d’intervention de l’ONU, dotée d’un mandat plus robuste et composée de contingents tanzanien, sud-africain et malawite, a été mise en place courant 2013.

 

Mais il suffit de traverser le parc des Virunga, via la route nationale 2 (RN2), en direction du nord-ouest jusqu’à Kanyabayonga pour se rendre compte que la pacification de la région est un casse-tête. Étendu sur près de 800 000 ha, classé au patrimoine mondial du l’Unesco depuis 1979, le parc national n’est plus seulement réputé pour sa biodiversité singulière, mais aussi pour les milices, étrangères et locales, dont il regorge, et qui font de la RN2 la route la plus périlleuse du pays.

 

Les embuscades y sont légion. Les camions transportant pêle-mêle marchandises et passagers au milieu des steppes, des plaines de lave et des savanes, sur les pentes des collines verdoyantes, sont désormais escortés par quelques éléments de l’armée.

 

« La présence des soldats nous rassure, mais nous ne sommes pas naïfs : si des miliciens attaquent le convoi, ils ne pourront pas nous protéger tous », reconnaît, lucide, Fabrice Kasereka, un commerçant qui parcourt régulièrement ce trajet. Ce dispositif d’escorte a été mis en place il y a un an par l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), gestionnaire du parc. L’établissement loue des camions à benne Fuso et place six militaires armés dans chacun d’eux. Dans chaque convoi (composé de 30 à 50 véhicules), l’un est positionné devant, l’autre derrière. Deux navettes aller-retour sont assurées au quotidien.

 

On atteint Kanyabayonga après quatre heures de route cahoteuse. Le village est situé près d’un camp de la Monusco où vivent des combattants FDLR qui se sont rendus auprès des forces onusiennes. Ces rebelles rwandais sévissaient, il y a quelques mois encore, à la barbe des FARDC et des Casques bleus, tandis que la population accusait les premiers de complicité, les seconds de passivité. Conséquence : une milice d’autodéfense a vu le jour, les Maï-Maï Mazembe. Ce sont eux qui seraient venus à bout des FDLR. « Tout le monde à Kanyabayonga les soutient », confie Anne-Marie, une cultivatrice occupée à emballer ses ananas destinés à la vente. « Si nous avons repris le chemin de nos champs, c’est parce que ces jeunes nous ont débarrassés des FDLR », poursuit-elle.

 

« Les Maï-Maï jouissent d’une certaine légitimité »

 

Un point de vue largement partagé dans le village. Peu importe si, dans toutes les zones que contrôlent les Maï-Maï Mazembe, il faut désormais débourser 1 000 francs congolais (moins d’un euro) pour passer une barrière tenue par des mineurs bien armés. Ces miliciens nandes, que leurs fétiches rendraient « invincibles », sont considérés comme des héros qui ont « libéré » la ville des « envahisseurs » rwandophones.

 

Mais déposeront-ils à leur tour les armes, une fois la situation revenue à la normale ? Rien n’est moins sûr, dans une région où les groupes armés ont une tendance naturelle à prospérer. « Les Maï-Maï ne sont pas détachables de leur communauté. Ils jouissent même d’une certaine légitimité, et on ne pourra pas les éradiquer uniquement par l’action militaire », admet Juvénal Munubo, le député de Walikale (à l’ouest de Goma).

 

L’élu en sait quelque chose, lui qui a dû faire une campagne électorale « compliquée » en 2011 face à une autre milice d’autodéfense, la Nduma Defense of Congo (NDC) du général autoproclamé Ntabo Ntaberi Sheka. Cet ancien trafiquant de minerais reconverti en seigneur de guerre, qui justifiait la prise des armes par la défense des Congolais face aux incursions meurtrières des FDLR, faisait partie des 65 candidats en lice dans la circonscription de Walikale.

 

« Nous devions peser nos mots lorsque nous étions dans des territoires qui échappent à toute autorité de l’État », se souvient Munubo, aujourd’hui membre de la commission Défense au sein de l’Assemblée nationale. Sheka n’a pas été élu mais est toujours dans la région. Et, pour les prochains scrutins, le député ne pense pas que la situation aura vraiment changé…

 

Pour qui votera le Nord-Kivu ?

 

Car la promesse du gouverneur actuel, Julien Paluku, et de l’équipe au pouvoir à Kinshasa de régler les problèmes de sécurité ne convainc plus dans le Nord-Kivu. « Ils sont là depuis dix ans, et rien n’a changé », lâche un acteur important de la société civile. Pour qui votera le Nord-Kivu lors de la prochaine présidentielle ? Longtemps perçu comme le favori de cette région, après le désaveu de Kabila, Vital Kamerhe semble avoir perdu, lui aussi, des points dans l’opinion publique au profit de Moïse Katumbi, le très populaire dernier gouverneur du Katanga (sud-est du pays).

 

Il est reproché à l’ancien président de l’Assemblée nationale d’avoir aidé Kabila à se maintenir en place au-delà de la fin de son second mandat constitutionnel. Et donc d’aller contre le seul traitement qui pourrait guérir le Nord-Kivu, selon sa population excédée : un changement de régime. Et le plus vite sera le mieux. source : jeune afrique

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