Sciences et technologie

« Des formations en intelligence artificielle émergent en Afrique, mais ce n’est pas suffisant »

La créativité africaine dopée par l’intelligence artificielle (7/7). Le bio-informaticien Abdoulaye Baniré Diallo appelle les Etats du continent à investir dans la recherche.

Lauréat en mars du Next Einstein Forum à Kigali, au Rwanda, le Guinéen Abdoulaye Baniré Diallo est directeur du laboratoire de bio-informatique de l’Université du Québec à Montréal. Ses travaux portent sur la classification des virus et microbes et la prédiction de leurs mutations génétiques. Il est le cofondateur de My Intelligent Machines, une start-up intégrant génomique, bio-informatique et intelligence artificielle (IA).

Dans la santé, l’environnement ou l’éducation, des applications d’intelligence artificielle se développent en Afrique. Qu’est-ce que cela raconte ?

Abdoulaye Baniré Diallo C’est la suite naturelle des choses. Le développement technologique en Afrique permet de faire de l’innovation à faible coût sans avoir besoin de moyens très sophistiqués. L’accès simplifié au cloud [stockage de données en ligne] est un outil merveilleux dans les mains des jeunes développeurs de génie qui peuvent, partout sur le continent, innover sur des applications simples et apporter des solutions nouvelles.

L’intelligence artificielle est un terme à la mode. Comment caractériseriez-vous les applications qui émergent ?

La majorité des applications d’intelligence artificielle qui se développent ne sont pas fondées sur une technologie forte et une recherche profonde. Ces applications utilisent souvent des outils clé en main, des interfaces de programmation applicatives (API) qui existent et sur lesquelles sont ajoutés des services. Pour développer réellement de nouveaux concepts, il faut que l’Afrique se dote de formations universitaires sérieuses, d’infrastructures plus robustes que celles qui sont accessibles actuellement, mais aussi de capacités de financement, car souvent ces technologies nécessitent des recherches sur plusieurs années.

Pour l’instant, les étudiants africains en IA se forment et travaillent à l’étranger, comme vous au Canada.

Effectivement, il faut partir du continent pour se former. Des programmes commencent à émerger : une maîtrise en « apprentissage machine » à Kigali, en collaboration avec l’université américaine Carnegie-Mellon, des programmes à l’université du Cap, en Afrique du Sud, ou dans quelques universités au Maghreb. L’Institut africain des sciences mathématiques [AIMS] va aussi se lancer dans cette direction. Mais ce n’est pas suffisant. Ce ne sont en aucun cas des lieux au cœur de la recherche, qui permettent à des étudiants et des chercheurs de trouver de nouvelles pistes qui amèneraient à des services plus poussés.

Que manque-t-il pour pérenniser cette créativité africaine en intelligence artificielle ?

Il faut une volonté étatique, une implication majeure des Etats, une compréhension que la recherche fait partie de l’investissement des pays et qu’une partie doit être consacrée à faire décoller les universités et permettreà plusieurs chercheurs en sciences des données et en IA, qui sont basés un peu partout dans le monde, de revenir sur le continent pour faire de la recherche sérieuse.

Regardez l’exemple du Québec. La réussite de l’IA découle de l’excellence des recherches qui ont été faites à Montréal par des instituts qui ont eu un soutien majeur du gouvernement. Des programmes pour valoriser les recherches universitaires et les transférer en milieu industriel ont été créés. J’ai pu en bénéficier : l’entreprise que j’ai cofondée [My Intelligent Machines] est ainsi passée d’une déclaration d’invention en milieu universitaire à une start-up. Ces leviers-là ne peuvent être actionnés par de la débrouillardise mais par l’Etat et une excellente organisation des acteurs privés. Le récent plan français sur l’IA est d’ailleurs un exemple intéressant.

Des services publics en Afrique utilisent votre start-up dans le domaine de la santé. Que proposez-vous ?

Notre plate-forme veut faciliter le travail de ceux qui souhaitent mener des recherches en intelligence artificielle sur les sciences de la vie. Surveiller l’évolution des virus ou maladies nécessite par exemple de gros moyens financiers et beaucoup de ressources de calculs. Notre plate-forme gère ces ressources, le stockage des données, et une intelligence artificielle intègre toutes les connaissances et les résultats d’analyse effectués sur le terrain.

Depuis le virus Ebola, j’ai commencé à collaborer en tant que chercheur avec l’Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formation [Iressef] du Sénégal, pour la surveillance de plusieurs virus. Notre start-up a récemment signé un contrat avec ce même institut en vue d’un projet plus ambitieux. Nous finalisons en Guinée un accord concernant l’analyse des génomes des virus associés à plusieurs maladies infectieuses et sommes actuellement en discussion avec le ministère rwandais de la santé.

Les données massives issues du continent africain, carburant des algorithmes d’IA, sont au centre des convoitises, notamment de grands groupes privés d’Internet ou de téléphonie. Que préconisez-vous ?

Le sujet n’est pas encore central en Afrique. Il faut favoriser une prise de conscience générale en informant, par exemple, les différents législateurs que l’Union européenne vient d’adopter le RGPD [règlement général sur la protection des données].

Je travaille, avec Hamidou Tembine, autre lauréat du Next Einstein Forum[un chercheur malien, spécialiste de la théorie des jeux, professeur à l’Université de New York], à la création d’un centre de recherche à but non lucratif pour accompagner les Etats et les entreprises africaines qui ont besoin de prendre des décisions fondées sur l’analyse massive de leurs données. Nous pensons qu’il sera opérationnel d’ici un an. L’idée est de mettre en place un outil d’« empowerment » afin que ces acteurs africains puissent profiter de leurs données sans que ce soient les autres qui décident à leur place.

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