Sciences et technologie

Luc Julia, le gourou de l’IA à qui on ne dit pas non

Le père de Siri, l’outil de reconnaissance vocale d’Apple, voulait « faire quelque chose pour la France » après l’élection d’Emmanuel Macron. Samsung, dont il préside le centre de recherche, lui a confié la création d’un labo à Paris.

Chemisette à fleurs enfilée sur une paire de jeans, teint hâlé, humour grinçant : Luc Julia soigne son style californien. Ce 15 octobre vers 9 heures, ce grand bonhomme est encore seul dans les vastes locaux fraîchement loués par Samsung. Et les bureaux ne vont pas se remplir de sitôt. A 52 ans, ce Français est chargé de constituer une troupe d’élite qui comprendra dix chercheurs en 2020. Le géant sud-coréen lui a confié les clés de son tout nouveau laboratoire de recherche consacré à l’intelligence artificielle (IA). Il navigue désormais entre la France et la Silicon Valley, où il habite depuis vingt-quatre ans. A Paris, son Lab est installé à deux pas du quartier général français de Facebook et de son laboratoire d’IA. « Mais nous ne sommes pas en compétition avec eux, s’empresse-t-il de préciser dans un sourire. Nous faisons de la recherche appliquée et nos projets doivent donner des résultats à deux ans. Facebook fait concurrence au CNRS. »

« Esprit conquête de l’Ouest »

La formule n’est pas forcément un compliment dans la bouche de ce chercheur de haut vol, passé par le MIT puis par l’université Stanford, le poumon de la Silicon Valley. Lui qui rêvait de travailler au CNRS « depuis l’âge de cinq ans » a vite déchanté en découvrant le fonctionnement poussiéreux de l’institution française. Après quelques semaines, il s’envolait pour les Etats-Unis. Direction Boston – « trop froid en hiver » -, puis la Californie – « mythique pour un ingénieur. » Lors d’une conférence au Xerox Park, il rencontre tous ceux qu’il avait cités dans sa thèse. « Il y a là-bas une forme de melting-pot, un esprit conquête de l’Ouest, s’emballe-t-il. On ne décrète pas une Silicon Valley comme à Saclay après avoir échoué à Sophia Antipolis. »

Luc Julia est un chercheur fort en gueule. Il dort trois heures par nuit : cela lui laisse beaucoup de temps pour bosser et réfléchir. Après l’élection d’Emmanuel Macron, il a voulu « faire quelque chose pour la France ». Il travaillait depuis cinq ans pour Samsung, qui lui avait confié la création de son Innovation Center, un groupe de 350 chercheurs d’élite en charge des projets d’avant-garde. En août 2017, il demande à son patron de fonder un labo, à Paris, sur l’IA. Refus. Démission. Il est rappelé moins de deux mois plus tard alors qu’il lézarde sur une plage, au Brésil. A Séoul, sa décision avait choqué : on ne quitte pas Samsung. Mais dans la Silicon Valley, il est difficile de dire non à Luc Julia, l’un des gourous mondiaux de l’intelligence artificielle. A Stanford, il a fondé le Chic : le Computer human interactive center, un laboratoire spécialisé en IA qui a développé les premiers frigos connectés avant de travailler sur les prototypes de voiture intelligente avec BMW, en 1998. Il a aussi imaginé les premières lunettes de réalité virtuelle pour aide à la conduite. « Dans trois à quatre ans, les pare-brises seront augmentés et diffuseront de l’information au conducteur », assure-t-il.

L’homme de sciences a aussi créé des start-up et certaines l’ont rendu riche, comme Nuance, devenue l’un des leaders de la reconnaissance de la parole. Il a aussi fondé un incubateur, BravoBrava et, bien sûr, a travaillé pour les plus grands noms de la Silicon Valley. Hewlett Packard lui a confié le développement de ses imprimantes connectées. Apple a racheté sa boîte en 2010, une petite chose nommée Siri, devenue l’outil de reconnaissance vocale de la marque. Il est entré chez Apple le jour de la mort de Steve Jobs. Il y est resté deux ans, « dans une ambiance pourrie ».

« L’intelligence des objets »

Dans sa maison, en Californie, Luc Julia a installé 209 objets connectés, enceintes, frigo ou caméras de surveillance. La lampe rouge à côté de la télé se met à clignoter quand il reçoit un courriel de son épouse. « Et je suis le seul à porter sur moi depuis dix ans un tracker Fitbit qui enregistre toutes mes activités physiques », confie-t-il. Le capteur qu’il porte au poignet communique notamment avec le thermostat Nest de sa chaudière, qui comprend qu’il a chaud quand il rentre de son jogging, et baisse automatiquement la température. « Beaucoup de gens sont restés bloqués sur l’Internet des objets, mais nous sommes passés à l’intelligence des objets, explique-t-il. Ou comment des choses peuvent devenir intelligentes en réalisant des tâches différentes de celles pour lesquelles elles ont été conçues. » Les objets de sa maison deviennent intelligents grâce à 150 brains, des algorithmes qui les instruisent à distance, via Internet.

Samsung lui donne la possibilité d’écrire ces programmes pour des milliers d’appareils vendus à des millions d’exemplaires. Et l’univers de Luc Julia ne cesse de s’étendre : « La voiture autonome sera bientôt l’extension de ma maison », promet-il. En janvier prochain, le maître de l’IA publiera un livre relatant sa vision sous une forme autobiographique. Le titre est à l’image de son auteur, provocateur : L’intelligence artificielle n’existe pas.

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