Religions et spiritualité

Sur les traces du Maouloud 2021 PARTIE 2 : L’HISTOIRE DE LA RENCONTRE ENTRE UN SAVANT ET UN SAINT

« Lorsque les hommes de Dieu rencontraient quelqu’un qui les minimisaient ou essayaient de les humilier, ils annihilaient mystiquement ses dons et savoirs ; c’est ce qu’on appelle « rékki » en wolof. Par ce phénomène d’annihilation, le prétentieux se retrouvait ainsi dépourvu de tout savoir. C’est le cas du wali venu rencontrer un érudit qui enseignait à plusieurs personnes d’innombrables domaines de sciences. Chaque connaissance qu’il dispensait à un disciple différait d’une autre qu’il donnait à un autre disciple ; seulement, la condescendance n’est pas une bonne chose. Les disciples l’entouraient, il donnait une leçon à l’un et une autre à l’autre. Un élu d’Allah arrive sur son âne affamé. Le ventre de l’âne était tellement creux que lorsqu’on le chevauchait, on pouvait sentir se toucher ses deux pieds en travers. Le savant s’était installé vêtu de son grand boubou, et entouré par une foule d’apprenants. Lorsque l’inconnu arrive devant lui, il lui signifie qu’il était venu pour apprendre. L’enseignant l’observe un instant et rit, avant de lui répondre :

– Va nourrir ton âne d’abord et lorsqu’il sera rassasié, tu viendras pour apprendre ; c’est une des leçons que je te donne, aller nourrir ton animal si squelettique jusqu’à ce qu’il soit repu. À te voir de la sorte avec ton accoutrement et ton âne affamé, tu te dis que tu viens apprendre dans cette école, avec tout ce que nous dispensons comme savoir dans cet établissement ! Proféra-t-il entre autres

L’élu d’Allah lui dit : « ne serait-il pas mieux que tu ne me sermonnes pas ? »

  • Ce n’est pas une remontrance, mais une leçon ; va nourrir ton âne et quand il sera rassasié, tu viendras apprendre, martela-t-il.

L’homme alla s’isoler en silence à côté d’un puits. Cependant, il y avait un enfant qui apprenait dans l’école et qui avait une grande compassion pour ce voyageur à cause de son apparence ; ses habits déchirés et sales, son âne affamé, en plus il était fatigué et au lieu de lui donner de l’eau à boire, on lui a fait des réprimandes avant de le laisser seul dans son coin. L’enfant s’approche alors de lui et lui dit :

  • Il faut savoir que le maître est parfois de mauvaise humeur, mais il faut le comprendre ! je pense qu’il est de mauvaise humeur aujourd’hui.

Le waliyou lui dit : « je sais que ce n’est pas à cause de ses humeurs et il m’a peut-être donné une leçon en me disant d’aller nourrir mon âne, mais là où il a fait une erreur, c’est que ceci n’est pas un âne, c’est plutôt un nawâmîss ; il faut lui demander s’il connaît même ce qu’est un nawâmîss » ?

Les nawâmîss accompagnent les élus d’Allah qui ont une mission universelle, principalement les Qutbs (Grands Pôles Secoureurs ou Aqtâbs). Il lui confie ainsi que : « ce n’est pas un âne mais un nawâmîss ; il ne mange pas et cela ne l’empêche pas de prendre n’importe quelle apparence. S’il le voulait actuellement, son ventre deviendrait arrondi et tu le croirais en total embonpoint, et il peut revenir à la forme inverse » !

L’enfant lui demande : « il faut lui pardonner, c’est notre maître, (…). »

Le waliyou lui dit : « en tout cas, il croit tout savoir mais j’ai bien peur qu’il vienne réapprendre, car il a seulement appris la connaissance des livres qu’il enseigne, mais pas la bienséance. Et la bienséance devrait précéder le savoir par les livres car si la personne n’en dispose pas, son savoir le nuira » !

Et le wali d’Allah a dit la vérité ! Il précise ensuite au jeune disciple que quiconque apprend en laissant de côté la bienséance, réapprendra avant de mourir, seulement s’il a de la chance. Son maître en dispose, c’est pourquoi il va réapprendre. Le disciple lui demande de lui pardonner, mais le waliyou l’envoie afin qu’il transmette ses adieux à son maître. Le disciple vient alors devant son maître pour lui dire que l’hôte lui fait ses adieux et qu’il est sur le point de rentrer. Le savant lui rétorque : « Qui l’avait retenu ici lui, pour qu’il nous fasse ses adieux, dis-lui d’aller engraisser son âne, c’est mieux pour lui » !

Le disciple vient devant le waliyou, mais n’ose pas lui délivrer la réponse. Le waliyou lui fait savoir qu’il a entendu la réponse et que s’il dépendait seulement du savant, il n’allait pas lui dire où il pourra le trouver, mais qu’il allait le lui indiquer à lui. Il lui fait savoir qu’ils pourront le retrouver au troisième village après celui-ci. Le disciple était convaincu qu’ils le rechercheraient, car il savait que cet homme n’était pas un visiteur ordinaire. Il retient alors le nom du village. Quand le maître a entendu leur discussion de loin, il interpella son disciple par :

– Qu’est-ce qu’il a dit ?

Le disciple lui répond : « il m’a indiqué le nom du village où on pourrait le retrouver en cas de besoin ».

  • Mais en quoi cela nous concerne-t-il s’il doit se rendre dans un quelconque endroit ? C’est ce genre de déficients mentaux qui divaguent ainsi dans la nature, avec un âne affamé jusqu’à le tuer ! Venez continuer votre apprentissage ! Répond-t-il.

Ils poursuivirent leurs leçons jusqu’au crépuscule. Le maître se place devant pour diriger la prière. Tout le monde était derrière lui, on prononce pour lui l’iqâma mais il ne dit aucun mot. Croyant qu’il récitait en sourdine par erreur, on l’avise par « Subhânallah ». Mais il ne réagit pas. Un moment après, on lui répète encore « Subhânallah », mais il ne prononce encore mot. À la troisième interpellation, il tire une personne derrière lui pour continuer la prière à sa place. À la fin de la séance, on lui demande :

  • Cher maître, qu’est-ce qui vous est arrivé ?
  • La sourate qu’on appelle Fatiha, vous la connaissez ? Leur répliqua-t-il.
  • Oui ! Répondit l’assemblée
  • Je ne peux pas la réciter, informa-t-il
  • Comment est-ce possible ! Se demandèrent-ils

Il leur confirme qu’effectivement qu’il ne maîtrise plus la Fatiha. Et ils ont beau réciter la sourate, il ne peut en prononcer aucun verset. Je le voudrais bien, leur dit-il, mais lorsque j’ai dit ” Allahou Akbar ” en début de prière, mon esprit s’est vidé, je ne connais plus rien du tout.

Le jeune apprenant lui dit : « est-ce que cela ne pourrait pas être l’œuvre de l’homme qui était venu aujourd’hui ? ». Il lui confirme : « Ah, tu sais pertinemment que c’est lui et pas quelqu’un d’autre ! Quel était même le nom du village qu’il t’avait indiqué » ?

Il commence maintenant à s’intéresser au nom du village ! Lorsque son disciple lui indique le nom du village, il lui dit : « On va y aller sans tarder. C’est impossible comme situation, c’est moi qui dispense des leçons à toute la contrée, je n’arrive plus à rien réciter, je n’ai plus aucune connaissance et je suis sûr que c’est à cause de lui ».

Ils prennent alors les chevaux pour accompagner leur maître. Arrivée au village qui leur avait été indiqué, ils remarquent que le lieu en question était une cité abandonnée depuis belle lurette, il n’y avait personne. Ils aperçoivent alors l’homme en question assis au centre de la cité, entouré de personnes toutes de blanc vêtues. Ce qui a attiré en premier l’attention du savant, c’était l’âne, devenu tellement gras avec un ventre bien arrondi, en total embonpoint. Il était étonné ! Lorsqu’il s’est approché pour écouter les enseignements du waliyou, il s’est rendu compte qu’il n’en comprenait rien, malgré sa connaissance si vaste des livres. Il voit le wali prodiguer des leçons à des apprenants assis qui acquiesçaient, leurs livres ouverts. Il a alors compris que tout ce qui lui restait à faire, c’était de ramper vers le wali ; c’est ce qu’il fit.

 Le waliyou lui dit : « laisses-moi terminer avec eux d’abord ». Il s’est mis à écouter et ne comprenait aucun mot de l’arabe que prononçait le wali. Il ne pouvait retenir aucune science de ce que le wali enseignait, alors qu’il était considéré comme le plus grand érudit de toute la contrée. Ce qui était le plus étonnant pour lui était que chacun des apprenants qui terminait son cours, se levait, posait son manuel contre sa poitrine et disparaissait ; ils ne marchaient pas comme des êtres humains mais disparaissaient. C’est ainsi qu’ils procédaient un à un jusqu’aux derniers.

Le savant lui dit : « si je n’étais pas déjà ébahi par le fait d’avoir perdu mon savoir avant de venir ici, tes élèves allaient m’étonner mais je suis déjà ébahi car je ne sais plus rien ».

Le waliyou lui dit : « tu n’es pas attentif ! Tout ce qui t’es arrivé, c’est parce que tu n’écoutes pas, je l’ai dit à ton disciple. Lui, il aura du savoir car il est respectueux et quiconque dispose de la politesse aura du savoir ; par contre toi, tu en es dépourvu, c’est pourquoi tu vas réapprendre ».

 Il lui demande : « comment vais-je faire maintenant pour m’en sortir? »

Le waliyou lui dit : « Ne crois pas que j’ai besoin de ton savoir, loin de là. Ta science que tu surdimensionnes ne m’intéresse pas, j’enseigne une autre science moi. C’est pourquoi quand je te l’ai soutirée, je l’ai insérée dans la tête du coq qui est dans ta maison. Actuellement, c’est un grand érudit car tout ce que tu connaissais est logé dans sa tête. Le savant lui demande ce qu’il avait à faire pour récupérer son savoir.

« Comme tu es venu pour te racheter, on va te pardonner », lui dit le wali. Il poursuit : « il faudra maintenant tuer le coq et une fois mort, n’en jette rien ; fais-en une soupe, mange la viande, bois toute la sauce et enterre les os restants ».

Le savant le remercie et lui demande des prières. Son disciple lui demande s’il veut qu’il aille lui chercher le coq ? ». Le maître lui dit : « attends-moi un peu » ! Il prend subitement son cheval pour galoper en vitesse et rentrer ». Le disciple était étonné de sa réaction, mais le waliyou lui confie : « tu savais pleinement qu’il n’allait pas t’attendre car il a peur que tu puisses le précéder et récupérer le savoir » !

C’était un savant de renommée qui aimait les honneurs et portait des grands boubous, mais cette fois-ci, lorsqu’il est rentré chez lui, il n’a donné d’explications à personne. Il a juste plongé sur le coq avec son grand boubou et s’est enfermé ! ». C’est à l’intérieur de la chambre qu’il l’a tué, déplumé et cuit tout seul, alors qu’il n’a jamais pensé le faire avant, à cause de son autorité. Il a tout mangé et les os qu’on lui avait demandé d’enterrer, il a pris le temps de les ronger un à un jusqu’au dernier. C’est la raison pour laquelle, en plus de la science livresque qu’il a récupéré, il a gagné un surplus de connaissance mystique via le fat’hou (ouverture spirituelle) qu’il a obtenu, grâce aux os.

C’est depuis ce jour qu’il a eu l’esprit ouvert au point que, même si un enfant venait s’adresser à lui durant ses cours, il arrêtait tout pour lui répondre poliment avant de continuer. On lui avait enseigné donc la bienséance, qui est une qualité essentielle en matière de savoir. Et depuis ce jour, il n’a jamais osé humilier quelqu’un. Ainsi, Allah (swt) charge parfois ce genre de missions à Ses élus. C’est la raison pour laquelle Mawlâya Cheikh Ahmad Tidjâni a dit : ‘‘celui qui est le plus élevé spirituellement est celui qui a le plus de bienséance’’ ».

 

Extrait tiré des enseignements du Maouloud à Médina Cheikh, édition 2021

Par Mawlâya Seydi Mouhamed EL Cheikh (a.s)

DESK RELIGION & SPIRITUALITÉ

Cheikh Tijane Sémbène

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