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Entretien avec Delphine Godefroit-Winkel Professeur associé Université de Toulouse Toulouse Business School Campus de Casablanca

Waladounyati : Vous êtes Professeur associé à Toulouse Business School et membre du réseau Recherche Marketing sur les Pays d’Afrique (RMPA). Vous avez récemment écrit un chapitre d’ouvrage sur la crise publié dans un ouvrage piloté par Pr. Mbaye DIALLO (université de Lille) et Dr. Joseph KASWENGI (université d’Orléans) et paru chez Nova Book Publishers (New York)
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Dr. Delphine GODEFROIT-WINKEL : je suis professeur associé en marketing, à la Toulouse Business School (Université de Toulouse). En 2017, TBS ouvrait un programme de bachelor en management sur leur campus de Casablanca. Leur projet en Afrique m’a beaucoup plu et j’ai immédiatement rejoint le groupe pour le campus casablancais. TBS multiplie les actions en Afrique. Dernièrement, TBS vient d’intégrer Africa-Sup, le premier regroupement d’établissements d’excellence lancé dans le cadre d’un partenariat entre la France et le Maroc et soutenu par l’Ambassade de France. L’idée majeure de ce projet est de travailler dans une approche Sud-Sud, dans un milieu multiculturel et d’accompagner le développement en Afrique. Un petit nombre d’écoles prestigieuses fait partie de ce groupe : Ecole Centrale Casablanca, EMINES – School of Industrial Management au sein de l’Université Mohammed VI Polytechnique, EMlyon business school campus Casablanca, ESSEC campus Afrique – Atlantique, INSA Euro-Méditerranée au sein de l’Université Euro-Méditerranéenne de Fès, l’EIGSI et Toulouse Business School campus Casablanca.

Avant 2017, j’ai enseigné dans plusieurs établissements en Algérie (Ecole Supérieure Algérienne des Affaires (Algérie), en France (Université de Lille), au Ghana (Ghana Institute of Management and Public Administration) et au Maroc (Université Hassan II, et dans des écoles de gestion privées). Je suis belge et installée au Maroc. J’ai fait ma scolarité primaire et secondaire à la mission française au Maroc. Puis, j’ai suivi des études à l’Université catholique de Louvain (Belgique) où j’ai obtenu mon diplôme d’Ingénieur en Gestion. J’ai commencé à enseigner à Casablanca en 1998. Puis, en 2010, j’ai eu l’opportunité de suivre un parcours doctoral à l’Université de Lille. Après trois années, j’obtins mon titre de Docteur en Sciences de Gestion.

En ce qui concerne la recherche, je suis membre du laboratoire Social & Innovation Marketing, du Toulouse Business School Research Center. Mes domaines d’expertise rejoignent le marketing interculturel dans des contextes en développement.

Par ailleurs, je suis régulièrement sollicitée pour reviewer des articles scientifiques. Au Maroc, j’ai co-organisé plusieurs conférences internationales avec des professeurs de renommée internationale (dont la conférence de l’International Society for Markets and Development).

Je suis également attachée à plusieurs associations de la vie civique marocaine. Depuis 2016, je suis membre de l’association Sourire de Réda, qui vient en aide aux jeunes en souffrance et prévient le suicide. Je travaille avec eux sur la communication autour de leur activité. Leur action est à la fois importante et délicate car la souffrance et le suicide des jeunes sont deux tabous qu’il est difficile d’aborder dans une société conservatrice. Mon engagement envers Sourire de Réda est une composante importante de mon métier. En effet, je pense qu’un chercheur doit participer au développement et au bien-être des individus dans la société qu’il étudie. Il ne peut se limiter qu’à sa seule analyse.

Waladounyati : Pouvez-vous nous parler rapidement du dernier travail de recherche que vous avez publié ?

Dr. Delphine GODEFROIT-WINKEL : Il s’agit d’un chapitre que Marc Eduard WINKEL et moi même avons co-écrit pour un ouvrage collectif dirigé par Pr. Mbaye DIALLO et Dr. Joseph KASWENGI aux éditions Nova Book Publishers (New York). Nous y traitons des stratégies marketing d’une entreprise industrielle espagnole qui cherchait à élargir son marché vers le Maroc après la crise de 2008. Plus particulièrement, nous analysons les relations d’affaires qui s’opèrent entre des entreprises familiales dans un milieu international. Ce sujet nous tenait particulièrement à cœur car les entreprises familiales sont nombreuses dans les contextes africains. Dans ce chapitre, nous proposons un cadre théorique pour approcher ses relations dans une perspective culturelle à plusieurs niveaux : macro, meso-social, micro-social et micro-individuel. Nos résultats montrent que le succès des relations d’affaires dérive largement du processus de co-création d’une culture commune entre les producteurs industriels, les agents locaux et les clients industriels. Cette culture commune est le fruit d’échanges tangibles et intangibles, et du partage d’expériences relevant à la fois du cadre privé et professionnel des personnes impliquées dans ces échanges.

Une difficulté majeure des relations d’affaires en milieu interculturel réside dans la compréhension respective et mutuelle des actions et des décisions des partenaires. Par exemple, dans les contextes nord africains, la confiance est intimement liée aux relations familiales et renvoie à des caractéristiques affectives fortes. En revanche, dans les pays occidentaux, la confiance dans le monde de l’entreprise dérive plutôt de la multiplication d’échanges positifs et fructueux entre les partenaires. Elle comporte une forte dimension cognitive. La dimension affective n’est pas absente mais elle est moins présente que dans les contextes africains.

Réference :
Godefroit-Winkel, D. and Winkel M. (2018), “Rethinking Industrial Marketing from a Cultural Perspective: A Spanish Steel Mill in Morocco after the 2008 Crisis,” in Diallo M.F. and Kaswengi J. eds., In Times of Crisis: Perspectives and Challenges of the 21st Century, Nova Science Publishers.

Waladounyati : Quelles sont les implications pratiques de ce type de recherche pour le développement en Afrique ? Que pouvez-vous conseiller aux jeunes chercheurs ?

Dr. Delphine GODEFROIT-WINKEL : Tout d’abord, il est important de multiplier les recherches sur le continent en évitant de considérer le marché africain comme un tout homogène. Un consommateur sénégalais partage des similitudes avec un consommateur tunisien mais ils ont aussi des particularités liées à leur contexte culturel. D’après moi, les recherches menées sur les pays africains auraient beaucoup à gagner si elles optaient pour des approches adaptées à leur contexte.

Le langage est en ce sens assez troublant car certains mots anglais ou français peuvent parfois ne pas trouver traduction dans le contexte étudié. Permettez-moi de parler de mon expérience sur le terrain marocain. Par exemple, il n’existe pas de réel équivalent du mot « client » en Arabe dialectal marocain. Pour le vendeur marocain, un « clian » est forcément un client fidèle qui s’approvisionne régulièrement auprès de lui. A ce titre, la « fidélité du client » est très difficile à traduire en Arabe dialectal. Une recherche en comportement du consommateur sur le client fidèle devrait donc tenir compte de la définition locale de la fidélité.

Au Maroc, comme dans de nombreux pays d’Afrique, les entretiens longs apportent souvent des informations très riches et profondes sur le comportement du consommateur. J’encourage donc toujours les chercheurs à approcher les consommateurs locaux par une longue phase exploratoire qualitative avant de se lancer dans un questionnaire. Il est important de repérer les différences locales et d’adapter sa recherche en fonction. Les outils et résultats d’études menées dans les contextes les plus développés sont difficilement transposables à l’identique dans un contexte africain.

Pour finir, j’aimerais souligner les opportunités qu’offrent les moyens de communication à l’heure actuelle. Il y a 20 ans, je n’aurais pas pu effectuer le travail de recherche que je fais actuellement car internet et les communications téléphoniques n’étaient pas aussi performants. Outre un accès à une information riche, les réseaux de communication me permettent d’échanger régulièrement avec des chercheurs dans le monde entier. Mes co-auteurs se trouvent en Californie, au Canada, au Ghana, au Sénégal, comme en France ou au Royaume Uni. J’encourage fortement les chercheurs, qu’ils soient africains ou autre, à profiter des moyens de communication, tels qu’ils existent, même si les connections sont parfois lentes ou régulièrement coupées. Nous avons aujourd’hui une belle opportunité pour lier des liens avec la communauté internationale de chercheurs.

Des projets spécifiques au contexte africain présentent également de belles opportunités. Récemment, Pr. Mbaye DIALLO et Dr. Souad DJELASSI ont monté un réseau de Recherche Marketing sur les Pays d’Afrique, dont je suis membre. Ce réseau vise à promouvoir la recherche et la formation en Afrique. Le professeur DIALLO et le docteur DJELASSI ont organisé une Journée de Recherche sur les Pays d’Afrique à Lille en novembre 2017. Actuellement, ils parcourent l’Afrique pour dispenser des cours et des conseils aux chercheurs africains. Ils sont récemment venus au Maroc, accueillis par l’Université Hassan II. Leur intervention auprès de doctorants marocains a connu un grand succès. Ce type d’initiative est vraiment bénéfique pour la recherche en Afrique et doit être soutenu par les collègues et les pouvoirs publics africains.

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