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Interview du Pr Mbaye Fall DIALLO (MFD) et du Dr Souad DJELASSI (SD)

                                                                                           

Waladounyati : Vous êtes des enseignants-chercheurs et universitaires de haut niveau impliqués dans différents projets qui concernent l’Afrique et les pays émergents. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Pr Mbaye Fall DIALLO (MFD) : Je suis Pr Mbaye Fall DIALLO, professeur des Universités (en Sciences de gestion – spécialité marketing) à l’Institut du Marketing et du Management de la Distribution (IMMD) de l’université de Lille en France. Je suis originaire du Sénégal, mais je suis établi en France depuis 2002 à la suite de l’obtention de mon baccalauréat. J’ai effectué des études de gestion à l’université d’Aix-Marseille où j’ai obtenu une thèse de doctorat en 2011 au CERGAM (Centre de Recherche en Gestion d’Aix-Marseille). Ensuite, j’ai été recruté à l’université de Lille 2 comme maître de conférences en 2012. J’ai soutenu un mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) en 2016, puis je suis passé Professeur des universités (équivalent à professeur titulaire au CAMES en Afrique) en 2017. Je suis spécialisé en marketing de la distribution et en statistiques appliquées. J’enseigne le marketing de la distribution, le commerce connecté (e-commerce), les stratégies internationales des distributeurs, …, et les méthodes quantitatives appliquées à la gestion.
En ce qui concerne la recherche, je suis membre du laboratoire LSMRC (Lille School of Management Research Center) – centre MERCUR. Je travaille sur deux axes de recherche : le management de la marque à l’international (dans les pays émergents notamment) et l’innovation dans la distribution et les services. Dans le cadre de mes activités d’enseignement-recherche, j’ai été professeur invité à Georgia State University (USA – Atlanta), à l’université de Stirling (Ecosse), à l’université de Brasilia (Brésil), à l’université Hassan II (Maroc – Casablanca), à l’Ecole Supérieure Algérienne des Affaires (ESAA – Alger), etc.

 

Dr Souad DJELASSI (SD) : Je suis Dr Souad DJELASSI, maître de conférences HDR (Habilitée à Diriger des Recherches) à l’Institut Universitaire de Technologie « C » (IUT) de l’Université de Lille en France. Je suis originaire de la Tunisie mais installée en France depuis fin 1995. Après avoir obtenu la maitrise (master 1) à la Facultés des Sciences Economiques et de Gestion (FSEG) à Sfax (Tunisie), j’ai effectué mon DEA (master recherche) et ma thèse de doctorat à l’IAE de Dijon en France. Après l’obtention de mon doctorat en 2001, j’ai été recrutée à l’Université de Lille 2 en 2002 en tant que maître de conférences. J’ai soutenu mon Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) en 2017. J’assure différents enseignements tels que le marketing, la communication commerciale, le marketing relationnel, etc. auprès d’un public allant de bac+1 à bac+5.
En ce qui concerne la recherche, je suis membre du laboratoire LSMRC (Lille School of Management Research Center) – MERCUR (Université de Lille-SKEMA Busines School). Mes activités de recherche portent sur deux axes principaux : le rôle du temps sur le comportement du consommateur et le pouvoir du consommateur. J’ai été professeure invitée à l’université Hassan II (Casablanca, Maroc) et à l’université Gaston Berger (Saint-Louis, Sénégal).

 

Waldounyati : Pouvez-vous nous parler rapidement de vos travaux et de vos dernières publications scientifiques ?

MFD : Oui, tout à fait. Mes publications portent sur les thèmes cités plus haut. Mes travaux ont d’abord porté sur les marques de distributeur (MDD) et sur l’internationalisation de la distribution (les grandes surfaces) dans le contexte des pays émergents (ex. Brésil, Colombie, Vietnam) et des pays en développement (ex. Sénégal, Maroc, Tunisie). Dans ce sens, j’ai montré comment les enseignes locales ou positionnées ainsi (ex. Extra au Brésil et Fivimart au Vietnam) sont en train de remettre en cause le leadership des enseignes internationales occidentales dans les pays émergents. J’ai aussi analysé les marques de distributeur dans le contexte français avec un accent particulier sur la situation de crise économique. D’ailleurs, mon dernier ouvrage (coordonné avec Dr Joseph Kaswengi, Université d’Orléans) porte sur la crise économique dans différents pays. Il a été publié en anglais chez Nova Book Publishers à New York (*).
Ensuite, je me suis intéressé à l’innovation dans trois perspectives : innovation commerciale (centres commerciaux), innovation technologique (digitalisation des magasins) et innovation sociale (éthique et durabilité). Ces travaux ont été appliqués à la grande distribution et au tourisme. Ils visent à mieux comprendre le processus d’innovation et ses conséquences à la fois sur le plan social et économique. Mon dernier article sur cet axe porte sur les technologies self-services (caisse automatique et self-scanning) qui permettent de gagner du temps et d’éviter les files d’attente en magasin. Ce travail a été publié dans la revue anglaise Decisions Support Systems (*).

 

* Références:
Diallo, M.F. and Kaswengi J. (Eds) (2018), In times of crisis: Perspectives and challenges of the 21st Century, Nova Book Publishers, New York.
Djelassi S., Diallo M.F. and Zielke, S. (2018), “How self-service technology experience evaluation affects waiting time and customer satisfaction ? A moderated mediation model”, Decision Support Systems (in press) [classée HCERES A / FNEGE 1]

 

SD : Comme je viens de le dire, mes activités de recherche portent sur deux axes principaux. Le premier axe, développé depuis mon travail doctoral, traite des problématiques relatives aux relations entre le temps et le comportement du consommateur en distribution. J’ai plus particulièrement étudié le rôle du temps dans le choix d’une formule de vente, la perception du temps dans le point de vente et la perception de l’attente. Je continue à travailler sur cette thématique en m’intéressant aujourd’hui à la relation entre la perception du temps et l’utilisation des nouvelles technologies. Par exemple, l’article cité par mon collègue Mbaye Diallo et publié dans la revue anglaise Decisions Support Systems (*), s’inscrit dans cet axe et traite de l’influence de l’utilisation des technologies self-services (caisse automatique et self-scanning) sur le temps d’attente. D’autres projets sur cet axe sont en cours de réalisation.
Le second axe, quant à lui, porte sur les évolutions du pouvoir et des comportements des consommateurs. J’ai étudié des comportements où le consommateur s’accapare du pouvoir tel que le comportement déviant (vol à l’étalage, consommation non autorisé en magasin, resquille, etc.) et d’autres où l’entreprise accepte de partager le pouvoir avec le consommateur par exemple en collaborant avec lui et en le faisant participer dans le processus d’innovation produit via ce qu’on appelle les pratiques de crowdsourcing (*).

* Références:
– Djelassi S, Decoopman I, 2016, « participation du consommateur à l’innovation produit via le crowdsourcing intercatif : nécessité de penser objets-frontières ? » Recherche et Applications en Marketing, vol.31, N° 3, p131-152 [HCERES A/CNRS 2/FNEGE 2]

– Demoulin N, Djelassi S, 2016, « Towards an Integrated Model of Self-Service Technology Usage in a Retail Context», International Journal of Retail and Distribution Management, Vol 44, Issue 5 [classée HCERES B/CNRS 3/FNEGE 3]

 

Waladounyati : Vous avez organisé différentes activités dans le cadre de réseaux de recherche que vous mettez en place. Pouvez-vous nous en dire plus ?

MFD et DS : Effectivement, nous avons organisé la première Edition de la Journée de Recherche sur les Pays d’Afrique (JRPA) le 30 novembre 2017 à Lille/ Roubaix. Cette conférence internationale a été accueillie par l’université de Lille (FFBC-IMMD et IUT C) et Skema Business School (laboratoire LSMRC). Elle avait pour objectif de réunir les chercheurs et professionnels (en marketing et en gestion) intéressés par les problématiques des pays d’Afrique au sens large (Afrique sub-saharienne et Afrique du Nord). De façon spécifique, nous sommes partis du constat du potentiel économique des pays africains en général. Cependant, nous notons l’absence de travaux académiques sur plusieurs sujets importants pour l’Afrique et son développement socio-économique (ex. nouveaux concepts commerciaux, équipement croissant en Smartphones et accès à internet, multiplication des services, dynamisme des secteurs agricoles et miniers, etc.). Plus spécifiquement, il s’agissait :

– De construire des ponts entre différents chercheurs et professionnels de la gestion (situés en Afrique et dans d’autres pays émergents ou développés).
– De contribuer à l’avancement des travaux académiques en gestion et leurs applications concrètes sur les pays d’Afrique.
– De proposer des recommandations pour le management des entreprises (nationales ou internationales) et des organisations publiques africaines.

La conférence a reçu 90 participants en provenance d’une dizaine de pays (Algérie, Belgique, Bénin, Gabon, France, Maroc, Sénégal, Tunisie, etc.). 30 communications (travaux académiques) portant sur différentes problématiques ont été présentées en sessions parallèles (comportement du consommateur africain, distribution et commerce, e-commerce, entrepreneuriat et PME, marketing & banque-finance, …) ou en session plénière (consommateur analphabète en grandes surfaces, gestion du stress du personnel, culture et consommation en Afrique, recherche marketing en Afrique). Quatre invités d’honneur ont animé cette session : Pr Abdelmajid AMINE (Université Paris Est), Pr Eric ARNOULD (Aalto University & EM Lyon), Pr Paul-Valentin NGOBO (Université Paris Dauphine) et Pr Mourad TOUZANI (Neoma Business School et ISG Tunis).

Grâce à l’appui de nos sponsors (dont la société Sphinx), nous avons décerné trois aux meilleures communications de la conférence :
• Premier prix jeune chercheur d’une valeur de 1000 euros (env. 650 000 FCFA) : décerné à Ndèye Binta NIANG (Université Gaston Berger/ SERGE, Sénégal)
• Deuxième prix jeune chercheur d’une valeur de 500 euros (env. 325 000 FCFA) : décerné à Abdou Karimi IMOROU (Université Abomey Calavi Bénin)
• Prix JRPA-Sphinx de la meilleure communication de la conférence, équipement logiciel d’une valeur de 3000 euros (2 000 000 FCFA) : décerné à Sihem BEN SAAD (IHEC Carthage, Tunisie) et Fatma CHOURA ABIDA (Institut Supérieur d’Informatique- Université Tunis El Manar, Tunisie)

La conférence a été un moment d’échanges riches sur des problématiques de gestion en Afrique. Avec les participants, nous avons décidé de créer un réseau de Recherche Marketing sur les Pays d’Afrique (RMPA) qui pilotera les futures éditions de la conférence qui auront lieu tous les deux ans (une fois en Afrique, une fois en Europe ou ailleurs). L’objectif du réseau RMPA est de promouvoir la recherche et la formation en marketing en Afrique.

Suite à cet évènement, nous avons aussi créé un groupe d’intérêt thématique (GIT), sous l’égide de l’Association Française de Marketing (AFM). Ce GIT-AFM est intitulé « Distribution dans les Pays Emergents ». Plus de 30 chercheurs basés dans différentes universités (Brésil, Canada, Colombie, France, Maroc, Sénégal, Tunisie, USA) font actuellement partie de ce GIT. Par ailleurs, une session spéciale sur la distribution dans les pays émergents est organisée lors du congrès international de l’AFM (Strasbourg, du 16 au 18 mai 2018). Ce sera l’occasion de réunir tous les collègues intéressés par la distribution dans les pays émergents.

Waladounyati : Comment comptez-vous développer vos réseaux de recherche de manière utile pour l’Afrique ?

MFD et SD : Dans le cadre des activités du réseau RMPA et du GIT-AFM Distribution dans les pays émergents, nous avons participé à différentes conférences en Afrique : conférence de l’Association Tunisienne de Marketing (avril 2017), conférence de l’Association Africaine de Marketing (Douala, avril 2018), conférence de l’Association Marocaine de Marketing (Agadir, avril 2018), et conférence de l’Association Sénégalaise des Sciences de Gestion (Dakar, avril 2018) où ils ont animé des tables rondes et des ateliers de formation aux méthodologies quantitative et qualitative. Nous sommes particulièrement sensibles à la situation des jeunes chercheurs. Nous comptons les aider à maîtriser les outils nécessaires aux publications scientifiques internationales pour qu’ils deviennent des ambassadeurs de l’Afrique sur la recherche scientifique en gestion et en marketing plus particulièrement.
Dans le futur, nous lancerons aussi des projets internationaux de recherche sur des problématiques sociétales concernant l’Afrique (ex. la transformation des produits locaux ou encore la perception du temps dans la performance des entreprises en Afrique). A travers des projets structurants tenant compte de la réalité locale, nous comptons accompagner les collègues et jeunes chercheurs d’Afrique à publier sur des sujets importants pour le développement de l’Afrique.
Nous pensons avoir tous une responsabilité concernant la situation de l’Afrique. Nous appelons tous les africains et tous les humanistes du monde à nous rejoindre dans notre projet de développement de la recherche et de la formation en Afrique. Chacun doit à son niveau apporter sa pierre à l’édifice pour aider l’Afrique à émerger. Nous remercions Pr Nil TOULOUSE (université de Lille) et l’Association Française de Marketing pour le soutien apporté dans nos actions concernant l’Afrique et les pays émergents.

Waladounyati : En résumé, quel message de la fin souhaitez-vous adresser aux jeunes africains qui vont vous lire ?

MFD et SD : C’est difficile de résumer cela en quelques mots car nous avons tellement de choses à partager avec les jeunes africains. Nous disons d’abord que l’éducation et la formation sont les clés du développement économique d’un pays ou d’un continent. Quand on regarde les pays d’Asie (comme la Chine ou la Corée du Sud), on se rend compte que le système éducatif constitue un pilier de leur émergence économique. Les pouvoirs publics de ces pays ont mis en place une stratégie ambitieuse d’éducation et de formation avec un ancrage fort dans le réel (lien avec le monde professionnel). Ensuite, nous encourageons les jeunes à entreprendre et à être créatifs pour aider l’Afrique à voir le bout du tunnel. L’Afrique dispose de tous les éléments de base pour impulser son développement (ressources naturelles, population jeune, … et surtout la joie de vivre !). Avec les opportunités offertes les outils technologiques et la mondialisation des économies, chaque jeune peut construire son parcours et son projet d’entreprise. Avec un peu de détermination et d’organisation, la jeunesse pourra réellement faire bouger les lignes les années qui viennent. Notre message de la fin est donc un message d’espoir et d’encouragement.

Pour en savoir plus sur le GIT-AFM « distribution dans les pays émergents » :
https://www.afm-marketing.com/fr/content/git-distri-pays-emergents
Page FB de la Journée de Recherche sur les Pays d’Afrique – JRPA
https://www.facebook.com/JRPALILLE/

Pour en savoir plus sur les travaux de deux interviewés :
Pr Mbaye Fall DIALLO: www.mbayefalldiallo.com
Dr Souad DJELASSI : https://scholar.google.fr/citations?user=4ZaViA8AAAAJ&hl=en

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